Il sera bientôt midi.
A la télé, un énième reportage des frasques judiciaires des époux Balkany.

Une assiette se brise.

CAMILLE : ça va Papa ?

PAPA : Oui.. ça va… T’inquiète pas ! C’est juste que ça me dégoûte ! Et après ils se demandent pourquoi l’abstention augmente ! Tous des pourris de toute façon !

CAMILLE : Papa, le médecin a dit que tu devais éviter de t’énerver… C’est pas bon pour ton coeur…

LE PERE : Moi, je dis qu’il est grand temps de faire le ménage ! Je ne comprends même pas qu’on puisse se présenter aux élections en ayant un casier judiciaire long comme le bras !

CAMILLE, qui fait la moue 🤔:

LE PÈRE : Tu n’es pas d’accord ?

CAMILLE : Je ne pense pas qu’une telle mesure règlera quoi que ce soit, du moins en termes de corruption. Le mal est malheureusement bien plus profond…

LE PÈRE : Comment ça ?

CAMILLE : Es-tu vraiment sûr que si tu étais élu, tu te comporterais de manière plus vertueuse ?

LE PÈRE, indigné😤 : Mais oui ! Camille… Voyons ! Comment peux-tu douter de ma probité ?

CAMILLE : Je ne doute pas de ton honnêteté papa ! C’est pas la question.

LE PÈRE, encore un peu indigné par la question : C’est quoi alors la question ?!!

CAMILLE : Papa, afin d’illustrer mon propos, me permets-tu de te raconter une petite histoire ?

LE PÈRE, qui s’est radouci : Avec plaisir ! Tu sais très bien que j’adore tes histoires :

CAMILLE : Alors, je vais te raconter une histoire ou plutôt un mythe.
Parce que je pense que les mythes et la philosophie peuvent parfois nous permettre de réfléchir, de prendre du recul.

Il s’agit donc du mythe de Gygès, tel que raconté dans le livre II de la République de Platon.

Alors, Gygès était un jeune berger lambda qui était au service du roi de Lydie.

Un jour, alors qu’il faisait paître tranquillement son troupeau, il découvrit une sorte de crevasse.
Il s’y introduisit, et se retrouva aussitôt nez-à-nez avec le cadavre d’un géant au doigt duquel se trouvait un mystérieux anneau en or.

Il prit cet anneau, le passa à son doigt, et après quelques essais, il se rendit rapidement compte qu’il pouvait devenir invisible à mesure de ses manipulation avec l’anneau.

Sachant qu’il avait cet immense pouvoir, ou du moins un avantage sur tous les autres, et Gygès se saisit de cette opportunité et profita pour aller violer la reine, tua son époux et régna en tyran sur tout le royaume.

LE PERE : Ok. Je pense que je vois un tout petit peu là où tu veux en venir, mais je te laisse finir ta démonstration…

CAMILLE : Merci Papa. Je trouve que ce mythe est très intéressant. et ce, pour deux raisons.

LE PERE : Je t’écoute

CAMILLE : Premièrement, ce mythe montre déjà que le pouvoir corrompt, comme disait l’autre.

Puisque Gygès, c’était un homme normal, ni gentil, ni méchant mais qui s’est rendu compte qu’il avait un pouvoir considérable sur les autres, et en a profité pour satisfaire ses propres pulsions.

LE PERE : Du coup, superman et cie, c’est un peu n’importe quoi ?

CAMILLE : Du point de vue de ce mythe, oui. Il n’y a que dans les films qu’on voit des êtres surpuissants se dévouer pour le bien commun. A ce titre, je ne peux que te recommander la série The Boys, où on voit un super héros – Homelander- bien plus proche de ce que pourrait être un superman dans la réalité…

LE PÈRE : Je trouve que c’est là une vision bien sombre de la nature humaine.

CAMILLE : Peut-être… Je pense que la nature humaine est complexe. Bien sûr, les êtres humains sont capables du meilleur, mais nous sommes aussi d’une certaine manière des Gygès en puissance.

Le meilleur exemple en est ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Les mêmes personnes qui vont te dire les pires horreurs sous l’anonymat, seront tout gentil avec toi le lendemain, ou n’oseront jamais te dire ce qu’ils disent avec leur clavier.

Pourquoi le font-ils ? C’est parce qu’à l’instar de Gygès, ils se sentent hors d’atteinte grâce à l’anonymat. Gygès avait un anneau de l’invisibilité. Les trolls sur internet se croient tout puissants et indétectables grâce au pouvoir de l’anonymat (du moins, le croient-ils)

On en a d’autres exemples tous les jours. Des gens qui font des excès de vitesse, qui parlent au téléphone en conduisant, et qui lorsqu’ils voient au loin des policiers, deviennent subitement de bons citoyens.

Et concernant la deuxième raison, je pense – pour reprendre les termes de Montesquieu – qu’il n’y a que le pouvoir qui arrête de pouvoir. Il faut donc des contre-pouvoirs importants. Or malheureusement, la balance penche un peu trop au service des élus. Du coup forcément, certains se pensent intouchables et tout permis.

LE PÈRE : Je comprends ce que tu veux dire…. Mais tu ne penses pas qu’en mettant tous les élus corrompus dehors, cela règlera la situation ?

CAMILLE : Peut-être un peu, mais je pense que pour lutter contre la corruption, il faudra passer par d’autres mesures, bien plus “révolutionnaires”.

Regarde.
Nous avons un personnel de droite au pouvoir. Il y avait des cas de corruption corruption.
Nous avons eu un personnel dit de gauche au pouvoir. Et il y avait des cas de corruption.

Notre président actuel nous avait promis un nouveau monde. Et il y a effectivement eu de nouveaux élus, un parlement rajeuni, plus féminin etc. Et pourtant il y a également eu des affaires…

Ce n’est donc pas une affaire de personne. C’est une affaire de pouvoir, de système – couplé avec un des penchants de la nature humaine. Je pense donc qu’il serait plus judicieux de changer de système, ou le réformer radicalement, car à mon humble avis, on aura beau changer les comédiens, tant que l’intrigue et le décor seront les mêmes, rien de substantiel ne changera …

LE PÈRE : Hmm… Je comprends effectivement.

CAMILLE, se levant du canapé: Après, je ne dis pas que tous les élus actuels sont des corrompus… Loin s’en faut. Mais je pense quand même qu’une réforme radicale s’impose si on veut changer de manière durable les choses…
Bon, c’est pas tout, mais il va falloir que je te laisse papa.
J’ai une la tonne de copies qui m’attend…